Tahar Agnelli, c’est un peu moi

Publié par Agnesb62 le

J’ai conscientisé très tôt la solitude inhérente à toute forme de vie humaine. J’ai compris que je ne connaissais rien des autres et qu’eux-mêmes ne pouvaient être dans ma tête, peut-être parce que mon monde intérieur, mon imaginaire était tellement riche et que personne ne le soupçonnait. Rien ne m’agace davantage que celui ou celle qui, sans être un de mes proches, prétend me comprendre parfaitement parce qu’il ou elle croit vivre la même chose.

Primo, les situations sont toujours différentes. Secundo, personne ne peut savoir à ma place ce qui est bon pour moi. Tertio, même Big Brother ne peut découvrir mes pensées intimes.solitude

Dans mon premier roman, je fais dire à mon personnage principal, le commissaire Tahar Agnelli :

« Même en groupe, tu restes seul. Tu es seul à te connaître vraiment. Tu nais seul, tu meurs seul. C’est une illusion de croire qu’on vit tous ensemble. En fait, on existe péniblement les uns à côté des autres. Personne n’est indispensable, sauf peut-être comme miroir narcissique du voisin. »

Ce sont mes mots, ma philosophie et ma réalité que j’ai la faiblesse de considérer comme exacte. J’aurais même pu ajouter qu’entre la naissance et la mort, on se débrouille comme on peut. Pas gai, comme conclusion ? Sans doute, mais à mon sens, absolument intrinsèque de l’être humain qui vit à côté de l’autre et en finit par ne remarquer que ce qu’il accepte de voir.

rockefellerEncore cette semaine, j’en ai eu l’exemple. Je fais mes courses tous les jeudis matins au marché du village. J’étais donc dans la file d’attente chez mon « légumier » préféré. Un monsieur patientait derrière moi, sur ma gauche, d’apparence humble. Je dis bien « d’apparence », car je ne le connais pas, ne le reverrais jamais et ignore tout de lui et de sa vie. Si ça se trouve, il est du genre Rockefeller… 😀

Un couple de sexagénaires arrive et s’installe sur ma droite. Toujours « apparemment », je les qualifierais de type expansif, peut-être se prévalant d’ouverture d’esprit et de bons sens relationnel. Je fabule sur leurs attitudes ? Nous ne pouvons faire autrement que nous projeter dans la tête des autres puisque nous ne pouvons aller y fouiller à notre guise, tel l’archéologue moyen.

Si dans mon métier de coach, je travaille en permanence à renvoyer aux oubliettes tous les apriorismes qui polluent mon inconscient, je les laisse parfois vadrouiller à leur guise dans la vie de tous les jours. Pas constamment, parce que je les sais caducs et approximatifs. Mais de temps en temps, ils me font du bien. Nul n’est parfait et surtout pas moi.

Sans doute n’étais-je pas dans une forme olympienne ce matin-là, sans aucune envie de prendre des gants. Le vendeur finit de servir la cliente qui me précédait, puis se tourne vers moi, ayant vu que j’étais la chalande suivante. Une autre vendeuse arrive sur ces entrefaites, qui commence à plaisanter avec le couple précédemment cité. À cet instant, j’ai eu étrangement l’intuition de ce qui allait se passer, sans doute parce que j’adore observer les gens et leurs interactions. Et, fort méchamment, je l’admets, je me suis réjouie de pouvoir bientôt me débarrasser un peu de ma mauvaise humeur.

Car, sans chercher à savoir qui elle devait servir en premier, la commerçante s’est enquise dans la foulée des attentes dudit couple, sans s’inquiéter de l’autre client.

Croyez-vous que l’un d’eux aurait fait remarquer que mon voisin de gauche les précédait dans la file ? Que nenni !

Cela vous est sans doute arrivé de vous faire griller par un malotru. Je suis une véritable tête de lard. Si je suis victime de ce genre de procédé, je le fais remarquer. J’use généralement d’un ton plus ou moins mordant pour distiller avec un humour au quarante-douzième degré, ce genre de remarque « Oh ! J’ai tellement maigri qu’on ne me voit plus ! », ou, « Madame (ou monsieur) doit être particulièrement important pour griller la politesse à tout le monde… ».

Je sais. Nombreux seront ceux qui jugeront mon attitude agressive. Grand bien leur fasse. Personnellement, je m’en moque. Malgré mon individualisme crasse, j’essaie de faire un minimum attention à l’autre, histoire de ne pas lui faire ce que je n’aimerais pas qu’il me fasse. Vagues relents d’éducation chrétienne, je le concède, mais qui peuvent avoir du bon. 🙂

Oui, jeudi dernier, je n’étais pas en grande forme et j’ai eu le plaisir imbécile de me « payer » ces clients impolis. À peine, la femme demanda-t-elle un produit que j’ai lancé de manière assez péremptoire, sans la regarder et désignant mon voisin qui ne demandait rien et restait en retrait, quoique pestant quand même dans ses moustaches, « Il me semble que monsieur était après moi ».

Tout est rentré dans l’ordre comme par magie. J’ai eu droit à des regards surpris, désarçonnés, dédaigneux, que sais-je ? Peu me chaut ! Ma grande gueule a eu le dernier mot et je savoure bien vainement mon succès. En fait, je me moque de savoir si je passe pour l’emmerdeuse de base. Je ne reverrai pas ces gens et même si c’était le cas, j’ai déjà oublié à quoi ils ressemblent.

Alors oui, comme le dit le commissaire Agnelli, lequel est un peu un autre moi-même, on naît seul, on meurt seul, on vit seul, même parmi les siens. On ignore tout de ceux avec qui l’on vit et que l’on aime parce que, quels que soient nos efforts pour les écouter et les entendre, ils ne nous montrent que ce qu’ils veulent bien laisser transparaître, comme nous ne leur révélons pas tout de nous. C’est à la fois désespérant et heureux ! En avoir conscience rend à la fois plus libre et plus attentif, moins rancunier aussi.

Mais cela n’empêche pas les coups de gueule, comme aujourd’hui ! 🙂

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Agnesb62

Autrice, romancière, romans historiques, romans policiers, nouvelles, essais sur les compositrices

0 commentaire

Elisa · 21 février 2017 à 16h30

Eh oui on naît seul, on meurt seul. Mais entre les deux, parfois, on préférerait l’être aussi 😉

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