Génie ou pas génie ?
Vous connaissez mon amour de la musique classique, combien elle participe de mon travail d’écriture, et également le simple plaisir que j’ai à l’écouter. Elle a participé à ma construction, avec les livres bien sûr, et même si aujourd’hui les découvertes sont nécessairement moins fréquentes, je ne peux ni ne veux m’en passer.
Facebook a de ces avantages qu’on y croise des amis que l’on n’aurait sans doute jamais rencontrés dans la vraie vie… Laurent Denave fait partie de ceux-ci, même s’il a quitté le réseau. J’aimais pourtant ces posts où il s’enflammait pour une cause sociale et/ou politique, nous faisait découvrir des compositeurs et des œuvres, souvent contemporains ce qui nécessairement m’enrichissait. Car je reconnais humblement faire partie de ceux qui ne comprennent pas grand chose à la musique contemporaine.
Alors j’écoutais consciencieusement les morceaux que Laurent proposait, car je crois que changer d’avis, admettre que l’on a pu se tromper et simplement ouvrir les « écoutilles » est nécessairement positif si l’on veut avancer dans sa vie.
Bref ! Voilà quelques semaines, Laurent, par courriel, nous apprend, à moi et à quelques autres, qu’il vient de publier un livre Les terres fertiles de la création musicale, avec pour sous-titre, les conditions sociales de possibilité d’une œuvre de Bach à Boulez.
Laurent a en effet la « double casquette » de musicologue et de sociologue. Voici la quatrième de couv :
« Comment Mozart est-il devenu Mozart ? Autrement dit, comment a-t-il été en mesure de produire l’œuvre que l’on sait ? Mélomanes et musicologues l’expliquent souvent en évoquant le « génie » du compositeur. Loin de se satisfaire de cette réponse, l’auteur se propose de déterminer les conditions sociales de possibilité d’une œuvre ayant marqué l’histoire de la musique.
Écrire de la musique savante nécessite d’acquérir des compétences spécifiques (comme la maîtrise de l’écriture musicale) et des dispositions particulières (goût de la solitude, confiance en soi, créativité, etc.). Produire une œuvre originale requiert également l’emploi d’une disposition musicale critique, c’est-à-dire la capacité de remettre en cause les règles de la tradition musicale de son temps. Or, le développement et la mise en œuvre de ces dispositions et compétences sont étroitement liés à des conditions historiques précises qu’il s’agit de mettre au jour. Analyse qui permettra d’ailleurs de comprendre le faible nombre de compositrices célèbres.
Fondé sur une riche documentation, cet ouvrage apporte un éclairage singulier sur l’histoire de la musique et ses figures les plus éminentes, parmi lesquelles Bach, Mozart et Beethoven. »
L’objectif de Laurent Denave dans cet ouvrage est d’analyser la part que prennent respectivement le talent inné, l’éducation et le milieu social dans le travail d’un compositeur. Mozart n’est-il que génial, où son œuvre s’appuie-t-elle sur le savoir transmis par son père Léopold, le travail acharné auquel il fut soumis dès son plus jeune âge, l’environnement hautement musical dans lequel il baignait ? Mendelssohn serait-il devenu le compositeur et chef d’orchestre d’exception qu’il fut si ses parents ne lui avaient permis d’apprendre auprès des plus grands professeurs et ne l’avaient encouragé à travailler sans relâche ? Et si le père de Gustav Mahler n’avait reconnu les dons de son fils, celui-ci aurait-il mené le Hofoper de Vienne à niveau d’excellence tout en créant en parallèle une œuvre exceptionnelle ?
Laurent Denave accorde également une place de choix à un sujet qui m’est cher, la capacité réelle de la femme à intégrer le monde de la composition musicale. On a en effet beaucoup gloser sur le sexe qu’aurait le génie… Le Beau y a-t-il accès ? Selon bon nombre de critiques, pas vraiment. Mais ainsi que je le pense, Laurent Denave propose une autre piste, celle de l’enfermement des femmes dans un modèle patriarcale, sans accès à la connaissance. Exemple ? Les conservatoires ne leur furent accessibles qu’à la fin du 19ème siècle. Louise Farenc y fut professeure mais dut se battre pour obtenir le même salaire que ses comparses masculins. Et exemple encore précieux à mes yeux, Fanny Mendelssohn, reconnue géniale tout autant que son frère par son entourage dit éclairé, dut cependant se contenter des maîtres qu’avaient son frère, les perdre lorsqu’il n’en avait plus besoin, et cesser d’en avoir sitôt son sort de future épouse et mère scellé par ses parents pourtant bienveillants et ouverts.
Laurent Denave s’appuie sur les travaux de ses pairs, sociologues et musicologues, pour étayer son discours, qui est à la fois passionnant et pédagogique. Il offre une autre approche de la possibilité d’une œuvre musicale, non pas uniquement issue de l’imagination d’un créateur hors pair, mais également de son travail, acharné le plus souvent.
0 commentaire
Laurent Denave · 28 juin 2015 à 20h17
Merci mille fois Agnès pour cette très belle critique !
Je vais finir par regretter d’avoir quitté facebook !^^
Je suis heureux en tout cas que mon livre vous ait plu et j’espère que l’on finira par se rencontrer un jour dans le monde réel !
Laurent
agnesb62 · 29 juin 2015 à 7h41
Comme je vous le dis dans mon courriel, il me reste à lire le précédent… 😉
Gérard Bavant · 28 juin 2015 à 21h25
Huuum ! Quelle présentation alléchante ! J’ai une grande envie de me ruer vers mon libraire favori (qui pourra éventuellement être Amazon ;-(…). Merci Agnès !
agnesb62 · 29 juin 2015 à 7h42
Quand le fond est intelligent, et la forme pédagogique, que demander de plus ? J’adore apprendre sans me prendre la tête, et ce livre-là est une très belle découverte 🙂
Elisa · 29 juin 2015 à 22h46
Une superbe chronique. Un thème intéressant sous l’angle de la socio, ça m’intéresse forcément !