Rentrée littéraire 2019, troisième !

Rentree litteraire 2019 troisieme, donc ! Voilà un livre comme je les aime, pudique et frémissant, profond et sans afféterie.
Breton, fils, neveu et petit-fils de militaires reconvertis dans le civil, l’auteur n’a jamais entendu parler de son grand-père. Paol a été arrêté, un jour de 1943, par les SS. Ni son père Pierre, un Finistérien taiseux, ni sa grand-mère Jeanne, n’ont jamais accepté de lui en raconter les circonstances.
L’auteur remonte le fil du temps pour comprendre ce que furent les derniers moments de la vie son grand-père; il va en même temps tenter de découvrir qui est réellement son père ; celui-ci s’est toujours refusé à mener la quête par lui-même. Il va aussi découvrir pourquoi son oncle a choisi une existence d’aventures à la limite de la légalité ; Ronan est un ancien membre des Forces Françaises Libres ; il est ensuitedevenu légionnaire, puis sympathisant actif de l’OAS. Les deux frères se sont éloignés l’un de l’autre, condamnés volontairement au silence, portant le poids douloureux de l’absence paternelle.
4ème de couv.
« Longtemps, je ne sus quasiment rien de Paol hormis ces quelques bribes arrachées. Sous le régime de Vichy, une lettre de dénonciation aura suffi. Début septembre 1943, Paol, un ex-officier colonial, est arrêté par la Gestapo dans un village du Finistère. Motif : “inconnu”. Il sera conduit à la prison de Brest, incarcéré avec les “terroristes”, interrogé. Puis ce sera l’engrenage des camps nazis, en France et en Allemagne. Rien ne pourra l’en faire revenir. Un silence pèsera longtemps sur la famille. Dans ce pays de vents et de landes, on ne parle pas du malheur. Des années après, j’irai, moi, à la recherche de cet homme qui fut mon grand-père. Comme à sa rencontre. Et ce que je ne trouverai pas, de la bouche des derniers témoins ou dans les registres des archives, je l’inventerai. Pour qu’il revive. »
On revient toujours vers ses racines. Nombreux sont ceux qui refusent de connaître ceux qui les ont précédés et dont pourtant ils sont issus. On ne veut pas savoir, on préfère oublier, enterrer une seconde fois. Le silence est une malédiction dont les descendants font les frais. Car il arrive fréquemment qu’une plaie familiale finisse par faire béance une ou deux générations plus tard.
Le chemin qui conduit l’auteur depuis le Finistère jusqu’au camp de concentration Dora, c’est celui qui autorise son grand-père à advenir vraiment ; Paol reprend sa place dans la lignée ; il peut reposer en paix grâce à une pierre rapportée d’Allemagne ; son petit fils la dépose comme témoignage sur le Menez-Hom qu’il affectionnait.
Paol est un homme du dix-neuvième siècle, droit et fidèle à ses idéaux ; il traverse la tragédie des tranchées ; puis il fonde une famille à Brest avant de partir quelques années en Indochine ; il y gagnant plus d’argent que s’il était resté en France. C’est une quête obstinée que mène son petit-fils un siècle plus tard, quasi obsessionnelle ; cela a le don d’agacer son père ; l’entêtement de son fils le renvoie malgré lui à son propre déni ; à quoi bon connaître, coûte que coûte, la vérité ?
Le parcours de Paol vers son agonie passe par Compiègn ; puis il file outre-Rhin, dans ce camp inhumain où le fameux V2 était construit. Jean-Luc Coatalem nous rappelle à l’occasion ce que fut cette fusée de 13 tonnes ; elle avait pour objectif d’emporter une charge explosive de 800 kg à une distance de 300 kilomètres. Elle a préfiguré les recherches de la NASA et la conquête de l’espace par les Américains. Ceux-ci se sont montrés peu regardants quant aux scientifiques nazis accueillis dans leurs rangs après la 2nde guerre mondiale.
Son travail austère d’enquête connait des avancées et des culs-de-sac. Afin de le densifier et l’aérer, Jean-Luc Coatalem mêle habilement des instants de fiction à la recherche de ses origines ; il imagine ce qu’a pu être la vie de son grand-père, de son père et de son oncle ; il la recrée parfois. Que serait-il advenu si, au lieu de rentrer en France après son séjour indochinois, Paol avait préféré faire venir femme et enfants auprès de lui ? Sa destinée aurait sans doute été moins cruelle, même après la décolonisation de la péninsule. Il aurait peut-être perdu de l’argent, mais aurait vu grandir ses enfants et petits-enfants.
J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre. Jean-Luc Coatalem nous délivre sans pathos inutile ses questionnements, ses peurs, ses tâtonnements. Avec énormément de pudeur et d’amour, il retrace une de ces destinées parmi des millions d’autres ; Paol est un de ceux qui prirent un jour le train de l’inhumanité et n’en revinrent jamais. Il avait déjà connu les affres terrifiantes de la 1ère guerre mondiale ; un Alsacien qu’il avait licencié l’a « simplement » salement dénoncé , qui trouvait son comportement pire que celui des Allemands.
Agnès Boucher, Auteure & Blogueuse

0 commentaire