Jules et Georges, ou Maigret et Simenon
Ouf ! Je viens d’achever la lecture du pavé de Pierre Assouline dédié à Georges Simenon.
Pavé qui reste cependant fort modeste si je compare à MA biographie de référence qu’est le Mahler de Louis-Henry de Lagrange (obsession, quand tu nous tiens… 😀 )
Pourquoi Simenon me direz-vous ? Parce que c’était un des auteurs fétiches de ma chère Maman, disparue voilà quelques semaines et que sa bibliothèque regorge de Maigret et autres roman de l’écrivain. Et en effet, j’ai mémoire de ces après-midis entiers, l’été sous les arbres dans le jardin de notre maison de campagne, qu’elle passait à lire et relire ces œuvres.
Pour ma part, Simenon c’est avant tout Maigret et sa fameuse pipe. D’abord avec Jean Richard interprétant le rôle clé dans les fictions télévisuelles de mon enfance. Ma mère lui préférait Bruno Cremer, lorsqu’une nouvelle série fut retournée dans les années 90. J’en ai vu quelques épisodes. Il est vrai que l’ambiance y est toute autre et l’acteur assez génial. Simenon, c’est aussi une masse de films vus et revus, adaptés de ses romans : Le Chat, Le Train, Monsieur Hire, Betty, L’Ainé des Ferchaux, L’Horloger de Saint-Paul, La Veuve Couderc, Le Président, Maigret tend un piège, Maigret et l’affaire Saint-Fiacre, En cas de malheur, La Mort de Belle, ou plus récemment, Feux rouges… Excusez du peu, pêle-mêle, Delon, Gabin, Schneider, Desailly, Bouquet, Noiret, Belmondo, Bardot, etc.
Voilà pour l’œuvre, foisonnante, étonnante, de la part d’un auteur qui prétendait n’avoir aucune inspiration ni imagination et se « contentait » d’observer ses contemporains pour « recracher » leurs errances dans des ouvrages à la fois efficaces, resserrés et à l’atmosphère inimitable.
Quant à sa vie, il faut admettre à la lecture de sa biographie qu’elle fut assez incroyable. Qui était Georges Simenon ? Belge insignifiant parti de rien, adorant son père et mal-aimé par sa mère, journaleux à seize ans, qui commence à écrire pour gagner de l’argent. Une production quasi industrielle, d’abord sous des pseudonymes pour diffuser des livres de bas étage, avant de trouver sa véritable plume, tel l’artisan qui apprend à force de remettre son ouvrage sur le métier. Finalement, son génie vient de son labeur, de sa persévérance, et aussi de sa foi en son travail.
Simenon le Belge, venu à Paris pour advenir, parti aux États-Unis où il se sent mieux compris et dont la vie s’achève en Suisse parce que la discrétion et la rigueur qui y règnent lui conviennent ; Georges l’homme à femmes, souvent prostituées, qui les « consomme » comme d’autres le font des bonbons avalés tout rond, pas forcément sensuel mais profondément sexuel, ayant besoin de ses « femmes autour de lui, mère, épouse, ex-épouse, compagne, secrétaire, bonne devenue vite amante, et fille ; Simenon l’inconnu célèbre, l’homme d’affaires roué qui se désintéresse des adaptations filmées de ses livres tant qu’elles lui rapportent de l’argent et satisfont ses goûts de luxe ; le citoyen de nulle part qui n’abandonne jamais sa belgitude, même lorsque le Nouveau Monde lui propose de rejoindre ses ressortissants ; le mari infidèle et jaloux, le père aussi de quatre enfants, affectueux et attentif, désespéré par le suicide de sa fille unique en 1978.
Les deux aspects du personnage sont liés. C’est par sa vie, riche et mouvementée, par les multiples rencontres qu’elle occasionne, que Simenon nourrit ses romans, au point que pour ses contemporains et ses proches, souvent la réalité se discerne dans ses livres. C’est au travers des rencontres multiples, personnages célèbres, dignitaires ou commun des mortels, que Simenon construit ses personnages et transcrit la vie en fiction, tout cela en quelques jours, au travers d’un planning rigoureux et jamais changé, juste pour livrer l’ouvrage, « roman dur » ou « Maigret », qui apportera la toute petite lueur susceptible, pour les plus attentifs de ses lecteurs, d’éclairer un pan microscopique de son obscure personnalité.
Cette biographie se lit comme un roman. Peut-être tous les détails apportés ne sont-ils pas nécessaires et Assouline se répète-t-il un peu trop souvent. Mais le livre éclaire assez cette espèce de boulimie de vie, de rencontres et de découvertes, qui anime l’homme et l’écrivain Simenon devenant éponge. Est-ce de l’empathie pour ses contemporains ? De la curiosité malsaine pour leurs travers et leurs vices ? Au fond qu’importe ? Assouline nous laisse libre de notre analyse, voire de notre jugement. Et la seule conclusion qui s’impose est que Simenon reste totalement vivant au travers de ses livres et des adaptations filmographiques et télévisuelles qui ne cessent d’être faites, près de trente ans après sa mort !
Quel auteur pourrait en espérer autant ? 😀
0 commentaire
Francis Palluau · 14 février 2016 à 10h00
Merci pour cette présentation passionnante !
agnesb62 · 14 février 2016 à 10h18
Merci, si l’article donne envie de (re)lire Simenon, l’objectif est atteint 🙂
Mpi Bardou · 14 février 2016 à 13h02
ça me donne envie de ressortir mes Simenon, donc… objectif atteint, Agnès ! ^^
agnesb62 · 14 février 2016 à 13h58
Oui, moi aussi, je vais les ressortir… 🙂