Et vive le marketing littéraire ! 😡

Depuis 2017, le monde littéraire et les lecteurs encensent un petit livre que je n’ai pas lu, parce qu’il ne me tentait pas, La Tresse, de Lætitia Colombani, pour ne pas le citer.
Du coup, quand le second roman de cette auteure, Les Victorieuses, est sorti, et surtout parce que j’ai eu l’occasion de le lire sans l’acheter, je me suis dit que cela valait le coup de découvrir son travail et de me faire ma propre opinion.
J’avoue un préjugé premier. Le marketing fait autour de l’ouvrage me prend, moi, lectrice, pour ce que j’appelle communément une gourde, une nouille, une cruche. Le roman, paru chez Grasset, est en effet protégé d’une jaquette, affichant plusieurs profils féminins superposés dans une ambiance rose très « fille ». Un bandeau tout en haut nous informe qu’il s’agit du nouveau titre de l’auteure de La Tresse. Oui, mesdames, ce bouquin est pour vous !!! Vouas avez aimé le précédent ? Vous adorerez le nouveau !!!!
Car toute cette salade mercatique est déployée pour le cas où vous n’auriez pas compris qu’il FAUT acheter et lire le livre. Et si cela ne suffit vraiment pas, on vous a rajouté un présentoir de même facture et de couleur identique, où le visage de la dame nous invite d’un regard presque suppliant à acquérir sa prose, à défaut de la lire.
Bref, comment résister ?
4ème de couv, avant d’aller plus loin.
« À 40 ans, Solène a tout sacrifié à sa carrière d’avocate : ses rêves, ses amis, ses amours. Un jour, elle craque, s’effondre. C’est la dépression, le burn-out. Pour l’aider à reprendre pied, son médecin lui conseille de se tourner vers le bénévolat. Peu convaincue, Solène tombe sur une petite annonce qui éveille sa curiosité : « cherche volontaire pour mission d’écrivain public ». Elle décide d’y répondre. Envoyée dans un foyer pour femmes en difficulté, elle ne tarde pas à déchanter. Dans le vaste Palais de la Femme, elle a du mal à trouver ses marques. Les résidentes se montrent distantes, méfiantes, insaisissables. À la faveur d’une tasse de thé, d’une lettre à la Reine Elizabeth ou d’un cours de zumba, Solène découvre des personnalités singulières, venues du monde entier. Auprès de Binta, Sumeya, Cynthia, Iris, Salma, Viviane, La Renée et les autres, elle va peu à peu gagner sa place, et se révéler étonnamment vivante. Elle va aussi comprendre le sens de sa vocation : l’écriture. Près d’un siècle plus tôt, Blanche Peyron a un combat. Cheffe de l’Armée du Salut en France, elle rêve d’offrir un toit à toutes les exclues de la société. Elle se lance dans un projet fou : leur construire un Palais. Le Palais de la Femme existe. Laetitia Colombani nous invite à y entrer pour découvrir ses habitantes, leurs drames et leur misère, mais aussi leurs passions, leur puissance de vie, leur générosité. »
Énième récit, donc, d’une femme soi-disant forte qui s’effondre, d’une femme qui a réussi sa vie professionnelle comme avocate, mais qui réalise au détour d’un accident de parcours – le suicide d’un client en plein tribunal, cela fait désordre, j’en conviens – que ce n’est pas celle dont elle rêvait plus jeune, et surtout, d’une femme qui n’a pu advenir en tant que compagne de l’homme qu’elle a aimé et aime toujours et dont elle n’a pas eu d’enfant.
Pauvre petite fille riche…
En parallèle de cette première trame, l’histoire d’une autre femme un siècle auparavant, une combattante, Blanche Peyron, qui a lutté coûte que coûte pour acquérir un ancien hôtel au cœur de Paris, rue de Charonne, et le transformer en Palais de la Femme. Ce bâtiment à l’architecture exceptionnelle a été construit sur un couvent et la légende prétend que le véritable Cyrano de Bergerac y aurait été enterré…
Bref ! Je commence le livre, avec, réellement, j’insiste pour celles et ceux qui connaissent ma « méchanceté quasi légendaire », une neutralité attentive. Je viens de finir un ouvrage dont je vous parlerai prochainement. Un bon titre. Pas excellent, mais de ceux qui vous laissent un arrière-goût de plaisir littéraire, une espérance quant à l’inventivité et l’imagination d’écrivains, pas nécessairement « bankables » comme madame Colombani.
J’ai mis, à la louche, une heure et demie pour lire Les Victorieuses. Dès le début, le texte m’interpelle par sa banalité et son inconsistance. Les phrases sont courtes – sujet, verbe, complément –, neutres ; le style est, j’allais dire, bien élevé.
Voilà  ! C’est exactement ce que je ressens en refermant le livre. Une bonne dissertation, un travail d’élève appliquée et sérieuse. Lætitia Colombani est scénariste. Elle sait donc de quelle manière on construit un récit. Les dialogues sont vraiment conformistes et plan-plan. En clair, ce qui manque cruellement à son roman, c’est la chair, l’étoffe, le rythme, bref, la vie ! Il n’y en a nulle part. Personnellement, je me moque totalement des états d’âme de son héroïne, Solène. Quadra, avocate donc, propriétaire d’un bel appartement, docile au point d’obéir aux désirs de réussite sociale de ses parents et de nier les siens, accrochée à un idéal masculin banal et bourgeois, elle est désespérante de vacuité.
Quant à la partie, fort légère, consacrée à Banche Peyron, c’est un article Wikipédia amélioré alors que, finalement, elle devrait être le pivot de l’ensemble pour nous faire comprendre ce que j’imagine être le message subliminal du livre : la misère n’a pas reculé en un siècle, nous sommes volontairement aveugles face à elle, bien à l’abri dans nos certitudes et notre matérialisme. Sans blague ?!
Même les femmes SDF, décrites plutôt que racontées, qu’elles soient réfugiées, maltraitées, émigrées, sont traitées sans réelle empathie, dépeintes comme le ferait un article dans un quotidien qui aurait décidé de brosser plusieurs portraits de victimes de la vie. À aucun moment, je n’ai ressenti une émotion, une once de compassion, pour ce qui m’est apparu comme un récit tellement fade et « bien propre sur lui ».
Alors ? Les Victorieuses sera sûrement un grand succès de librairie. On trouvera son auteure vraiment gentille, souriante, aimable. Et elle rédige si bien. Mais où est l’écrivain en elle ? Où est l’œuvre ?
À quoi sert un éditeur, finalement, surtout quand il s’appelle #Grasset ? À exiger un « rendement » de ses auteurs ? À formater des plumes ? Un livre fonctionne, on recommence avec le suivant, en utilisant le précédent pour appâter le chaland ? Tu n’as pas le temps de l’écrire ? On s’en moque, tes lecteurs te suivront les yeux fermés ! Et, en même temps, vu le nombre de titres qui paraissent chaque semaine, comment sortir du lot ? Comment faire son trou, si ce n’est en pilonnant les lecteurs potentiels de messages publicitaires aux ficelles grossières et faciles, en obligeant les auteurs à pondre des romans, même médiocres, à la suite les uns des autres ?
J’ai été jusqu’à regarder l’interview de #laGrandelibrairie, émission à mes yeux tellement conventionnelle et parisianiste. Je voulais savoir si la dame parlerait mieux de son livre qu’elle ne l’a écrit. Que nenni. Encore cette même impression lisse et sage, ce sentiment qu’elle se « tient comme il faut ». Une bonne élève bien convenable, je vous dis… Pas tant que ça tout de même, lorsqu’elle sait tirer parti de son succès en le reproduisant dans une version de La Tresse pour les bambins. Maman a adoré le livre ? Vite, vite, achetons la version junior pour partager ce moment de grand bonheur littéraire entre filles. Il me faudra donc l’emprunter à la médiathèque pour confirmer ou invalider ce que d’aucun-e-s vont juger une critique méchante, partiale et injuste. Envieuse, qui sait ? Non, on ne peut envier que ce que l’on admire !
Sans oublier que bientôt le film va sortir ! Est-ce que ce sera le même barnum pour Les Victorieuses ? Quant à monsieur #FrançoisBusnel, qui se dit « totalement indépendant » des pressions des maisons d’édition, il trouve l’ouvrage « très réussi ». Quelle hypocrisie !
Je n’ai qu’une réponse en forme de question à ceux que mon article choquerait. Et la passion, l’art, la liberté de créer, dans tout ça, bordel ??!!
Agnès Boucher, Auteure & Blogueuse
0 commentaire
Lemee · 19 mai 2019 Ã 13h24
Ta « méchanceté » est réconfortante..
Françoise · 19 mai 2019 à 13h25
Ta « méchanceté » est réconfortante..
Hervé Gasser · 20 mai 2019 à 7h24
Enlevé et féroce ! Mais ça a l’air de le mériter…
Agnès B · 20 mai 2019 à 9h56
🙂 je n’aime guère la tiédeur, en littérature par-dessus tout…
Mimi21 · 21 mai 2019 Ã 17h07
Après avoir lu « La tresse », il me tente pourtant beaucoup pour un bon moment de lecture sans prise de tête. On peut lui reprocher, comme dans son précédent roman, le style quasi « journalistique » sans épaisseur et sans fioritures. Ton avis est sans appel, mais respectable si tu n’as pas aimé. Pour ma part, je me laisserais bien tentée …
Agnès B · 21 mai 2019 à 20h21
Merci de ce commentaire. Je viens de finir « La tresse », comme quoi, je cherche à ouvrir les écoutilles. Même si je trouve l’écriture toujours aussi basique et facile, le fond est quand même de meilleure tenue. Sans comprendre l’engouement que ce livre a suscité, il est de facture plus construite et le propos, même si vraiment bâclé à la fin, retient davantage l’attention. La partie de l’avocate ne m’a pas intéressée. j’ai préféré les parties indiennes et siciliennes, car il y a la de véritables combats de femmes pour obtenir leur liberté, leur indépendance et leur identité. Dans ce nouveau roman, rien de tel, réellement. C’est vraiment mauvais et c’est, à mon sens, une erreur de la part de l’éditeur et de l’auteure. Après, le lecteur est libre de ses choix ! 😉