Deux récits en un, hélas !

Publié par Agnesb62 le

Voilà un livre assez étonnant, non par son contenu, mais plutôt pas l’effet – ou devrais-je dire « les effets » successifs – qu’il a eu sur la lectrice que je suis.

Je n’avais, à ce jour, lu de Martin Winckler, que l’excellent La Maladie de Sachs. Je l’avais ensuite vu dans l’adaptation qu’en a faite Michel Deville au cinéma, avec Albert Dupontel. J’avais vraiment aimé l’originalité du récit, et également la grande humanité qui ressortait de ce livre.

Je ne suis pas fanatique des histoires qui parlent de médecine, de soins ou de santé. Je suis passée à côté d’Urgences à la télé, malgré Georges Clooney 🤣, et les livres de Patricia Cornwell m’ont très vite ennuyée. Je reculais donc à relire un ouvrage de Martin Winckler, car je sais qu’ils sont souvent en lien avec ce sujet.

Pourquoi ai-je changé (un peu) d’avis avec Abraham et fils ? Sans doute le prénom inclus dans le titre, ainsi que la photo de la couverture, ont été porteurs de sens.

Et la 4ème de couv. !

« Un jour du printemps 1963, une Dauphine jaune se gare devant le monument aux morts, sur la grand-place de Tilliers, petite ville de la Beauce. Elle transporte Abraham Farkas, médecin rapatrié d’Algérie, proche de la cinquantaine et son fils Franz, âgé de neuf ans et demi. Abraham n’a qu’une seule préoccupation : son fils. Franz, lui, en a deux : son père et les livres. Leur vie a été brisée un an plus tôt par un « accident » qui a laissé Franz amnésique et dont Abraham ne lui parle jamais. Ils s’installent rue des Crocus, dans la grande maison où Abraham va se remettre à travailler. Ils vont devoir apprendre à vivre avec le reste du monde et à lui faire face, ensemble et séparément. Pour Abraham, qui n’est pas aussi monolithique que son fils le pense, la situation est simple : soigner est son métier, et il va l’exercer à Tilliers comme il le faisait à Alger. Quant à Franz, il n’est pas aussi fragile que son père le croit. Comment voit-on le monde quand on n’a que son père comme repère ? Comment comprend-on les sous-entendus des uns, les agressions des autres ? Comment fait-on la différence entre le bien et le mal ? Et comment grandit-on quand on a oublié qui on est, et quand la seule personne qui le sait reste muette ? À défaut de pouvoir explorer les recoins de sa mémoire, Franz se met à explorer la grande maison et la petite ville qui constituent désormais leur univers. Il y débusque des mystères et des silences, un terrain d’exercice idéal pour son imagination qui, sous l’influence de ses lectures, se débride. À travers deux récits entrecroisés – les souvenirs de Franz et ceux d’un mystérieux narrateur omniscient –, ce roman décrit une relation filiale singulière. C’est aussi une réexploration de la France au début des années soixante à travers les yeux et les oreilles d’un garçon de dix ans qui découvre tout en même temps la cruauté de la vie, les pièges de la mémoire, les secrets enfouis par l’Histoire avec sa grande hache, les surprises de l’amour et les forces qui animent notre imaginaire ».

Pourquoi est-ce que je parle de différents « effets » qu’a eus le livre sur moi au fil de ma lecture ? Parce que c’est le cas. Je suis rentré très vite dans l’intrigue. Cette relation très tendre entre un père, Abraham, et son fils, Franz, qui se redécouvrent, le second étant victime d’une amnésie suite à un « accident » qui a eu lieu en Algérie. J’ai aimé cette affection très vive, filiale et paternelle, leur besoin mutuel de se protéger l’un l’autre, par peur de se perdre de nouveau, en réapprenant à vivre côte à côte après avoir été broyés par l’existence. L’histoire se déroulant dans les années soixante, elle m’a nécessairement renvoyée à ma propre enfance, étant née quelques mois à peine après la fin de la guerre d’Algérie. Durant la première moitié du récit, j’ai retrouvé des repères, scolaires et sociétaux, littéraires et cinématographiques. C’est une période qui fait suite à une grande violence et précède une révolution printanière, un entre-deux un peu suspendu dans la chronologie française, nostalgique d’une époque où l’ennui était synonyme d’imaginaire. Il ne se passe pas grand-chose, au fil des journées toutes semblables les unes aux autres, et Winckler a ce talent incroyable de rendre captivant ce qui pourrait sembler rébarbatif et vain. Il nous parle d’éducation et de tendresse, de mémoire et d’oubli, de douceur et de respect.

Un mystère pourtant demeure. Le père et le fils n’évoquent étrangement jamais la mère et épouse. Celle-ci apparaît de loin en loin comme un fantôme protégeant le garçon. Et si Abraham refait sa vie avec une nouvelle femme, nulle jalousie, aucun conflit, ne perturbe les acteurs tranquilles de cette fiction beauceronne. J’avais envie de poursuivre la découverte de ces existences brisées, lorsque…

Lorsqu’une seconde histoire est venue se greffer soudainement sur la première et casser maladroitement le rythme du roman. La maison où Franz et son père se sont installés recèle un secret. Déçue de ne pas en apprendre davantage sur la vie de Franz avant qu’il ne perde la mémoire, j’ai commencé à décrocher. Winckler délaisse la première intrigue pour en nouer une seconde, que j’ai trouvée sans grand intérêt, littéraire ou historique. Une énième fois, la 2nde guerre mondiale, des Juifs réfugiés et cachés, finalement dénoncés et envoyés à la mort, une histoire d’amour brisée entre une franco-allemande et un jeune français de confession israélite, bref, rien de bien nouveau. Pourquoi avoir « lâché » la tragédie de l’Algérie qu’ont dû quitter Abraham et Franz après que leur femme et mère ait succombé à un attentat, dont elle n’était même pas la cible ; et ce, pour nous narrer un drame à la limite du roman à l’eau de rose ? Ce conflit, dont la France a eu tant de mal à dire le nom, méritait davantage de soins de la part de l’auteur.

Du coup, les personnages ont fini par m’agacer un peu. Trop de bienveillance, de respect et de tolérance, comme si haine et violence avaient été épargnées à cette petite bourgade du centre de la France. Seul un élève en classe avec Franz le malmène et le montre du doigt en le traitant de « Juju ». C’est faible pour raconter une France encore teintée d’antisémitisme, raciste et conservatrice, dont Mai 68 fera sauter les coutures déjà malmenées par les différentes guerres coloniales. Ce livre très consensuel, même s’il reste très agréable par son infinie douceur, finit presque par mettre mal à l’aise.

Une suite existe, Les histoires de Franz, que j’ai acheté en Folio dans ma librairie préférée, Les Passeurs de mots. J’ai quelques livres à lire auparavant, mais je vous tiendrai au courant de la suite des aventures d’Abraham et Franz.

Agnès Boucher, Auteure & Blogueuse

abraham-et-fils


Agnesb62

Autrice, romancière, romans historiques, romans policiers, nouvelles, essais sur les compositrices

2 commentaires

martinwinckler · 3 juin 2019 à 20h14

Parce que l’Algérie et la mère, c’est pour la suite…

    Agnès B · 3 juin 2019 à 21h33

    Oui, j’avais bien compris… Mais terminer un livre sans en avoir la fin est toujours frustrant, surtout si une autre histoire prend le pas, de moindre intérêt…

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