Canicule et manipulation

C’est un tout petit roman de 89 pages, ; et on se dit en le prenant sur le rayonnage de son libraire « Pfff… ça va être vite lu ! Encore une couillonnade pour empapaouter le lecteur ». Mais il s’agit tout en même temps de canicule et manipulation.
Et si, en effet, le texte est rapidement « expédié », la littérature qu’il propose se révèle bien supérieure à beaucoup des volumes marketés que les éditeurs veulent vous faire avaler à longueur d’année.
L’histoire est pourtant d’une banalité à pleurer.
4ème de couv. pour commencer.
« Jean, mon frère, venait d’acheter un voilier et m’invitait à passer quelques jours en mer. Je n’étais pas certain que ce soit une bonne idée que nous partions en vacances ensemble.
Quand je dis « nous », je ne pensais pas à Jean. Je pensais à Jeanne. À Jeanne et moi. »
En gros, Jean et Pierre sont frères ; Pierre a été l’amant de Jeanne qui vit à présent avec Jean. Jean invite Pierre à venir faire du bateau au large de Capri avec sa petite amie du moment, Lone, une Scandinave qui maîtrise mal le français. Il fait très chaud. Les corps sont plutôt dénudés ; vous imaginez le tableau quand ils se frôlent dans un espace aussi rétréci qu’un voilier.
Bref, rien de bien nouveau sous le soleil. Dès le début de Un été, on se sent pourtant presque pris à la gorge par la chaleur étouffante de Naples. En attendant son frère qui doit venir les chercher, lui et Lone, pour aller au bateau, Pierre se demande s’il a bien fait d’accepter son invitation. Est-il encore amoureux de Jeanne ? Succombera-t-il au charme de son ancienne maîtresse ? Et elle ? Quels sont ses sentiments et ses désirs ? À quel jeu se livre Jean en invitant son frère à vivre une pareille promiscuité ?
Sauf que l’écriture est ciselée de telle manière que les faits, visiblement anodins, s’enchaînent de manière inéluctable, pour, évidemment, faire sombrer les deux ex-amants dans les affres d’une passion renaissante.
Croit-on…
L’action, qui se déroule en grande partie sur ledit voilier, fait irrésistiblement penser à Plein Soleil, où là aussi, les silences, les faux-semblants, voient évoluer ensemble trois êtres que tout oppose jusqu’au dénouement final. Moins sanglant le dénouement, mais très dérangeant quand même.
Une des dernières scènes, durant laquelle Pierre surprend Jeanne dans une église, apparemment en train de prier pour sa mère restée en France et gravement malade, est un malentendu extrêmement cocasse, avant que la chute ne soit révélée en quelques mots tranchants. Pierre n’a été qu’un fantastique dupe et un véritable couillon.
Beaucoup de lecteurs se plaignent de la brièveté de Un été. Mais à quoi bon raconter ce qui n’a finalement aucun intérêt ? Le sujet du livre n’est pas de relater une énième histoire d’amour contrarié, mais bel et bien de narrer une magnifique opération de manipulation. Tout est exprimé dans les non-dits, les regards qui sous-entendent, les silences qui s’éternisent. La chaleur moite et torride de l’Italie du Sud renforce l’effet de resserrement que ce huis clos distille de manière à nous « déranger » malgré nous.
Agnès Boucher, Auteure & Blogueuse
0 commentaire
Marjorie Loup Créatrice d'Univers · 16 juillet 2019 à 9h08
Merci Agnès, tu m’as donné envie de le lire :))) J’adore les huis-clos, alors combiné à l’amour (même contrarié) et à la chaleur que j’aime, c’est parfait !
Agnès Boucher · 16 juillet 2019 à 13h56
Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais le rythme est bon et la chute vraiment inattendue 😉
Francoise LEMEE · 16 juillet 2019 à 10h05
Effectivement, comme tu l’écris je voyais en arrière plan Maurice Ronet et Alain Delon…
Agnès Boucher · 16 juillet 2019 à 13h54
Dans ce lire, les personnages sont nettement moins beaux… 😉
Françoise Lemee · 16 juillet 2019 à 14h22
Les yeux de Maurice Ronet… Wow… Bref..
Je vais peut être mettre ce livre sur ma liste, pour mon prochain passage à la librairie.
Sev · 16 juillet 2019 à 14h58
89 pages et un dénouement dérengeant? Je signe!
Agnès Boucher · 17 juillet 2019 à 8h38
Oui, cela change des feel-good books « bien comme il faut » 😉