Cancer j’ecris ton nom

Je suis volontairement provocatrice une nouvelle fois. Parce que je crois, en bonne ex-analysante, que les « mots » ont un sens ; ils doivent être mis sur les « maux » pour que ceux-ci soient clairement énoncés. Aussi, Cancer j’ecris ton nom
En tout cas, voilà un article pas simple à écrire. Comment faire la critique de deux livres en lien avec cette saloperie de maladie ?
Car une personne atteinte d’un cancer ne souffre pas d’une « longue maladie ». Cette expression ne signifie strictement rien. Mais le terme est entré dans le langage courant et l’inconscient collectif. Cette pudeur m’exaspère. Une longue maladie ? Il y en a tant de pathologies incurables, avec lesquelles les patients vivent ou survivent.
J’ai la faiblesse de penser que, pour se battre, il est préférable de bien connaître son adversaire. Parole de bien portante ? Peut-être, mais aussi d’ancienne accompagnante et spectatrice horrifiée de maladies en tous genres dont la progression vers l’inéluctable est insupportable. J’ai vu les dégâts occasionnés par le cancer, à une époque où la pudeur à prononcer ce mot était la règle absolue, même (surtout ?) chez les médecins ; et aussi, celle d’une tumeur temporo-frontale, bref d’une démence sénile pour la faire rapide, qui relève de la pure monstruosité, tant l’être cher se noie et disparaît dans un néant abyssal et définitif.
Et puis, vu mes antécédents génétiques, je sais que je ne suis à l’abri de rien.
Je ne suis pas gaie ? Juste lucide. Je vous ai prévenus, les lectures dont je vais vous parler concernent le cancer, un point, un trait.
Ces dernières semaines, une connaissance m’a demandé de lire l’ouvrage d’une de ses proches paru aux Éditions Borromées, CHIP alors ! Candice Wallart est une jeune femme de même pas 40 ans. Dans ce livre, elle fait le récit d’un cancer vécu un an plus tôt. Au départ, la tumeur a été considérée comme une « simple » infection de l’appendice ! Elle a dû subir une CHIP. Cet acronyme à première vue sympathique évoque en fait une pratique extrême, à savoir une Chimiothérapie Hyperthermique Intra Péritonéale. En gros, la technique consiste à administrer par voie opératoire, une chimiothérapie à température élevée, directement dans la cavité abdominale du patient en traitement de carcinoses péritonéales.
Sympatoche, non ?
J’ai commencé l’ouvrage… J’en étais arrivé au premier tiers quand mon éditrice préférée a publié un post dans le groupe privé des auteurs des Éditions Hélène Jacob ; une des autrices phares de la maison venait de décéder, victime d’une récidive plus qu’agressive d’un cancer du sein. Nous savions que Kathy Dorl, son nom de plume, luttait contre cette saloperie ; elle lui avait consacré son dernier opus, Ça ira mieux demain ! Kathy était la spécialiste des « feel-good books » aux EHJ, type de littérature que j’ai découvert avec elle. Elle avait du talent, de l’esprit, un vrai sens du récit ; et surtout, elle faisait preuve d’un humour au centième degré ; il lui a sans doute permis de se battre si longtemps contre le cancer.
Du coup, j’ai lu les deux livres en parallèle. Le premier est un témoignage. Le second un roman inspiré de faits tristement réels. Les deux décrivent les affres que traversent les malades du cancer ; en gros, les séances de chimio, les traitements qui capotent, le corps brutalisé qui se rebelle contre la chimie médicamenteuse, à la fois destructrice et salvatrice.
Chacun a son utilité. Les deux font sens…
Comme je l’ai écrit précédemment, ce n’est pas facile de faire une « critique » objective de livres abordant un pareil sujet. Je risque encore de me voir reprocher mon « cœur de pierre ». Sur le fond de chacun des opus, je n’ai d’ailleurs rien à redire. Comment oserais-je ? C’est plus sur leur utilité vis-à-vis de potentiels lecteurs que je vais gloser.
Ça ira mieux demain ! affiche clairement son objectif. C’est un roman, inspiré de la vie de son auteure.
4ème de couv. ?
« La violente récidive d’un cancer foudroie Camille, en plein éclat de rire. Les métastases anéantissent son quotidien, son travail d’écrivain, son couple, ses amis, sa vie. Terrifiée, la pétillante Camille bascule du côté obscur des examens au scanner, des IRM, de la médecine nucléaire et des lourdes séances de chimiothérapie. Elle est abattue, touchée en plein « corps ». Terrassée par la maladie et les traitements, elle est éreintée, épuisée, mais surtout désespérée quand elle s’aperçoit que Mathieu, son mari, prend de la distance. Si nous connaissions notre destinée, aurions-nous la force de la changer ? En retournant dans le passé, serions-nous capables de le modifier ? Si la chrysalide savait qu’une fois devenue un élégant papillon, son existence ne serait qu’éphémère, sortirait-elle de son cocon ?
Ça ira mieux demain ! est une histoire simple, « drôlement » triste. C’est celle de l’auteur, sous bien des aspects. Elle peut être aussi la vôtre. C’est surtout un message d’espoir qui donne force et courage face aux épreuves de la vie, car le rire est une formidable thérapie. Ça ira mieux demain ! est le dernier roman anti-morosité de Kathy Dorl, qui aborde avec humour et tendresse un sujet grave qu’elle connaît bien, pour la joie de lire, malgré tout. »
Ça ira mieux demain ! est construit sur deux récits qui s’emboîtent adroitement. Le premier est totalement « fantasmé », le second bien réel. L’avantage est qu’ils englobent ainsi deux perspectives. D’abord, celle de la malade mal accompagnée ; délaissée par ses proches, abandonnée par son compagnon, elle doit lutter seule face à l’adversité ; au bout du compte, elle préfère se laisser couler, épuisée par les traitements et leur inefficacité. La rémission, voire la guérison, sont en bonne partie dues à la force du mental ; l’attitude empathique et protectrice de la famille est des proches est également essentielle. N’oublions pas que nombre de patients se retrouvent seul-e-s, certains humanoïdes continuant de croire le cancer contagieux ! 😡
Ensuite, le récit se termine de manière plus positive. Durant son anesthésie, l’héroïne a la vision de ce qu’elle pourrait vivre si elle était abandonnée de tous. Si elle ne guérit pas, le répit qu’elle connaît se fait grâce au soutien de son mari et de ses amis. Nulle part, on ne trouve une quelconque grandiloquence inutile. On retrouve fort heureusement la verve, le style, l’humour décapant de Kathy Dorl ; l’autrice est capable de prendre une distance étonnante par rapport à sa douloureuse réalité. Le roman est habilement construit et fait regretter les suivants qui ne verront pas le jour.
La vie nous a appris que Kathy Dorl a finalement succombé ; Camille a eu plus de chance, grâce à son autrice, qui lui a refusé cette funeste extrémité.
Au tour de CHIP alors ! et de sa 4ème de couv.
« C’est un parcours de soins, comme on dit en médecine. Mais ce n’est ni une vignette ou un cas clinique, c’est le récit d’une marcheuse de la vie qui rencontre la maladie, la douleur physique, le déchirement du corps, la gravite, la fragilité de la vie humaine, l’imminence de la mort. Oui, c’est le récit d’un combat sans défaillance, le portrait d’une héroïne du réel, l’héroïne de La Lourde Vérite, sans jamais accepter que le corps et l’esprit, certains l’appellent l’âme, se sépare. De l’esprit, de mots d’esprit, le livre en est parsemé, le dernier mot revient à l’auteure, et sur le corps et par ce livre.
Je m’appelle Candice, j’ai entre trente-six et trente-huit ans au moment des faits. Je suis l’heureuse maman de deux garçons et en couple depuis vingt-deux ans. Nous habitons une maisonnette avec jardin, chien à temps plein et chat à temps partiel. Après dix années passées en cabinet de conseil RH, j’ai obtenu la responsabilité de notre bureau lillois. J’ai d’abord écrit ce livre pour mes enfants, avec pudeur et discrétion, puis pour les enfants qui entendent et parlent de la mort sans peur ni tristesse, enfin pour tous, car il n’y a pas d’âge pour être enfant. J’ai l’ambition de vous montrer, exemples à l’appui, en quoi les relations qui se font et se défont, dans des circonstances inhabituelles, agissent sur nous comme des révélateurs de ce que nous avons de meilleur. »
Cet ouvrage m’a davantage intéressée dans sa première partie que dans sa seconde. Pourquoi ? Parce que j’y ai retrouvé ce type de femme que je connais bien. J’en ai croisé des palanquées dans mon expérience de coach ; leur objectif est d’être « tout à la fois », bonne épouse, ne bonne mère, bonne fille et bonne professionnelle. Elles se pensent indispensables où qu’elles soient ; elles ont besoin d’être « légitimes », que ce soit dans leur vie personnelle ou leur carrière ; du coup, elle en fant des tonnes.
Pour la plupart, elles m’agaçaient un tantinet avec ce désir inavoué de toute puissance. J’avais tendance à leur dire, « et votre humanité dans tout ça, donc votre faillibilité ? »… J’ai trouvé très parlante l’évocation du corps médical qui se trompe et ne voit pas l’horreur ; les toubibs diagnostiquent d’abord une banale appendicite mal engagée, puis finissent par découvrir l’indescriptible. En fait, le parcours de soins de la « combattante » est riche et argumenté ; il se révèle fort intéressant, notamment pour des personnes soumises à la même pathologie que l’auteure. Nécessairement, on ressent une réelle empathie pour la narratrice.
Cependant…
Premier hic… le cancer est rarement désigné, excepté sous le pseudo de « Madame Lourde Vérité »… Le cancer est-il la Vérité avec un V ? Ce jeu de métaphores m’a dérangée.
Second hic, toutes les descriptions : mari exceptionnel, parents merveilleux, enfants adorables, amis remarquables. Jusque-là, on peut y croire. Rajoutez les soignants prodigieux, qui est le seul aspect à ne pas me surprendre, vous avez aussi les collègues formidables. Jusqu’au client extraordinaire, le tout me saoulant réellement à la longue ! C’était un peu « Mister cancer chez les Bisounours ».
Je suis persuadée que l’auteure a en effet la chance de susciter de pareilles affections. En même temps, cet excès de dégoulinage me dérange un peu. L’auteure dit écrire pour « tout le monde » et vouloir le faire avec « pudeur et discrétion » . Je pense évidemment au/à la pauvre malade qui ne serait pas à ce point entouré-e. Non seulement il/elle va subir l’explication de son futur chemin de croix ; mais en plus il/elle ne bénéficiera pas nécessairement de tout l’amou-ou-our (c’est là que ma méchanceté ressort ! 🤣) de ses proches.
Bref, vous aurez compris, ces « à-côtés émotionnels » ont un peu pollué ma lecture. Cela ne doit pas vous dissuader de lire Chip alors ! si le sujet vous intéresse, car le fond du récit reste intéressant et prenant.
Moralité, une nouvelle fois, il y a une vraie difficulté à écrire une critique sur ce genre de livre. On ne m’y reprendra pas ! 😃
0 commentaire
Francoise Lemée · 20 juin 2019 à 14h28
Le coeur que je connais n’est absolument pas de pierre…
Bon, je suis malmenée par cette saloperie, comme tu le sais.
Mais je n’ai jamais été malade. J’ai eu 2 cancers, un point c’est tout. Cependant, c’est beaucoup plus difficile de vivre le cancer des gens qu’on aime.
Ce ne sont pas des livres pour moi en ce moment. J’attends le prochain billet de bonne humeur.
Agnès Boucher · 20 juin 2019 à 14h31
Oui Françoise, je sais que la vie te malmène cruellement en ce moment. Le prochain article te parlera d’un livre à la fois abominable et jubilatoire… Next week ? 😛 Bon courage à toi et à ta moitié, Bizzzzzzz