Attention, chef-d’oeuvre !

Publié par Agnesb62 le

Il y a des livres, découverts et dévorés à l’adolescence, qu’il est toujours bon de reprendre, surtout en ces temps de vacuité littéraire.

Bouh ! vous dites-vous, elle est de mauvais poil !

Que nenni ! Je viens juste de relire « De sang froid », publié en 1966 par l’immense, l’incomparable Truman Capote.truman capote

Vous le savez ou vous ne le savez pas, Capote est cet écrivain américain à la fois génial et frappadingue, qui va prendre le petit déjeuner chez Tiffany avec Audrey Hepburn… Non, ça, c’est le film, Breakfast at Tiffany’s, lequel, quoiqu’en pensent certains, est nettement moins bon que le livre, surtout la fin !

C’est ça qui est pénible au cinéma, cette manie de toujours vouloir une Happy end !!!

Revenons à De sang froid. 4ème de couv.

« Il était midi au cœur du désert de Mojave. Assis sur une valise de paille, Perry jouait de l’harmonica. Dick était debout au bord d’une grande route noire, la Route 66, les yeux fixés sur le vide immaculé comme si l’intensité de son regard pouvait forcer des automobilistes à se montrer. Il en passait très peu, et nul d’entre eux ne s’arrêtait pour les auto-stoppeurs… Ils attendaient un voyageur solitaire dans une voiture convenable et avec de l’argent dans son porte-billets : un étranger à voler, étrangler et abandonner dans le désert. »

Avec De sang froid Capote invente carrément un genre littéraire. Pas de l’autofiction complaisante et soporifique ! Pas de la romance à deux balles ! Pas du docu-trash nauséeux. Non ! L’écrivain crée le « nonfiction novel », le roman tiré de faits réels et surtout, il se met à écrire comme s’il avait un scalpel dans la main plutôt qu’une machine à écrire.

truman capoteAprès avoir découvert dans la presse, le meurtre sordide d’une famille dans une ferme du Midwest et ce pour le pathétique butin de 50 dollars, Capote décide d’aller sur place et de mener sa propre enquête. Bizarrement, l’histoire qu’il nous raconte est assez banale. Ces deux anciens prisonniers tuent les fermiers, certes riches, mais a priori honnêtes et altruistes, par pur intérêt. Puis ils enchaînent les agressions et les vols sans grande envergure, fantasment une existence de rêve au Mexique, avant de revenir sur les lieux de leur crime et de se faire bêtement avoir sur place.

Adoptant la démarche du journaliste d’investigation, sans jamais faire preuve de voyeurisme, bannissant toute subjectivité, collant à la réalité la plus brute, et au-delà de l’histoire en elle-même, Capote nous narre, dans un style pur et limpide, la dérive d’un peuple et d’un pays, d’une civilisation aujourd’hui agonisante, celle de l’argent facile, de l’éducation bâclée, de la misère insidieuse. La conclusion s’impose d’elle-même. Ces hommes sont des tueurs, leur crime est gratuit et inhumain. Mais la société qui les juge ne veut surtout pas connaître le fond de leur dérive et ne vaut pas mieux qu’eux en les exécutant.

Durant cinq années, Capote côtoiera les enquêteurs, les villageois, la famille. Il ira même jusqu’à rencontrer les assassins, qui se révèlent n’être en fin de compte que des pauvres types malmenés par la vie depuis leur naissance, non désirés et maltraités par leurs parents, à la fois pitoyables et monstrueux. L’écrivain nouera des liens quasi affectifs avec eux, dans une espèce de fascination malsaine, partagé entre le désir de les voir échapper à la pendaison et le besoin qu’ils soient exécutés pour que son livre trouve sa place de chef-d’œuvre.

De sang-froid sera un énorme succès pour Capote. Cependant, devenu alcoolique et drogué, ayant trahi ses proches, il n’a plus jamais retrouvé l’inspiration ni le style épuré et limpide de ce chef-d’œuvre de la littérature mondiale.

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Agnesb62

Autrice, romancière, romans historiques, romans policiers, nouvelles, essais sur les compositrices

0 commentaire

jean-claude thibault · 11 janvier 2017 à 16h33

J’avais adoré « Les domaines hantés » et « La harpe d’herbes » ! Plus tard, j’ai lu « Petit déjeuner chez Tiffany », succombant au charme de l’écriture de Truman Capote. Si bien que je n’ai jamais eu envie d’entrer dans ce « De sang froid » à l’atmosphère si différente, que vantait les magasines. Tu me prouves que j’ai eu tort…

    agnesb62 · 11 janvier 2017 à 17h25

    C’est très différent de Tiffany et des nouvelles. mais c’est vraiment remarquable… Il n’est jamais trop tard pour bien faire 🙂

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