Plaisir de la biographie

Publié par Agnesb62 le

Est-il si essentiel de connaître la vie d’une personnalité pour mieux comprendre son travail ? Appréciera-t-on davantage celui-ci si l’on découvre ce qu’il/elle fut en tant qu’être humain, dans son quotidien et ses rapports à ses contemporains ? Pour ma part, j’en suis convaincue, non pas que cette démarche soit obligatoire (l’on n’en sortirait pas !). Cependant, une œuvre prend légitimement une tout autre dimension dès lors qu’on la lie avec les évènements de l’existence de son créateur, quelle que soit sa discipline.

J’ai souvenir de la biographie de Gustav Mahler, véritable somme rédigée dans les années 80 par Henry-Louis de Lagrange, Gustav-Mahlerlequel a voué sa vie et son travail à ce compositeur exceptionnel. J’ai fait le choix, après avoir entendu deux symphonies de l’artiste (La 1ère et la 5ème), de les découvrir toutes au fur et à mesure de ma progression dans le cours de sa vie. La force de Lagrange est d’avoir construit une véritable histoire, presque un roman. Et si le lecteur veut aller plus loin, une somme de notes est adroitement insérée dans le texte lui-même, ce qui évite les aller-retour acrobatiques entre le récit et les annexes en fin d’ouvrage. Quand celui-ci compte près de mille pages et pèse son poids, je peux vous assurer que c’est fort confortable. Le livre est devenu aujourd’hui LA référence pour qui veut découvrir Mahler, et c’est exceptionnel dans l’histoire de la biographie.

Mais enfin, lire l’œuvre de Lagrange, c’est plonger tête la première dans l’univers intellectuel et artistique qu’était la capitale viennoise à la fin du dix-neuvième siècle. Et c’est là aussi une des clés de son succès. Autour de Mahler gravitent des figures prestigieuses telles que Brahms, Strauss, Bruckner, Klimt, Freud, Cosima Wagner, j’en passe et des meilleurs. C’est la puissance de l’empire austro-hongrois et la préparation de sa chute. À l’heure du Brexit, c’est aussi la liberté de voyager dans une Europe en pleine (r) évolution. Par exemple, sans TGV ni avion, Mahler se paiera le « luxe » inouï d’aller visiter Freud aux Pays-Bas pour une psychanalyse éclair et d’effectuer pour cela un voyage depuis les confins de l’Autriche en train, sur à peine trois jours.

Franz-Liszt

J’ai ressenti une impression similaire en lisant La vie de Liszt est un roman de Zsolt Harsányi, à la différence que l’auteur fait preuve trop souvent d’une mauvaise foi, ou plutôt d’un parti pris fort agaçant. Le cher Franci, si beau et génial, devient une espèce de saint laïc, même s’il est très religieux, où ce sont les autres qui sont coupables et faillibles. Cela m’a rappelé le début des Confessions de Rousseau, où celui-ci, lorsqu’il viole une jeune fille, laisse à entendre qu’il n’a pas pu se retenir de la voir si jolie ! Fouillé, détaillé, érudit, mais trop partial à mon gré, donc. Liszt est parfait, bla-bla-bla… et les autres… l’opposé… Mendelssohn devient envieux, les femmes des hystériques, bref, aucun recul sur la personnalité du sieur Liszt. Malgré ce gros défaut, le livre demeure passionnant, le fond historique reste très intéressant. Il est riche de la vie de l’ami Franz à Paris, de ses voyages à travers tout le continent européen, des personnalités exceptionnelles qu’il croise, depuis l’immense Beethoven jusqu’à l’insupportable Wagner.  La fin qui concerne le maître de Bayreuth, le nombrilisme du sieur et la quasi méchanceté de Cosima, restent à creuser. Certes, Cosima Liszt, devenue Von Bülow puis Wagner, ne semble pas une dame très cool, mais son père s’est-il jamais intéressée à elle enfant puis adolescente, à courir le monde pour sa gloire ?

Quand j’ai rédigé mon premier opus, Comment exister aux côtés d’un génie, la partie dédiée à la recherche durant laquelle j’ai lu et relu moult ouvrages sur les Mendelssohn, les Schumann ou les Mahler, m’a enthousiasmée et passionnée. Outre le plaisir d’apprendre, il y avait l’intérêt à découvrir des existences riches et variées, ponctuées de moult rencontres, et ceci même lorsque le personnage ne sort quasiment pas de chez lui, à l’instar de Fanny Mendelssohn. J’eus le même plaisir avec mon second opus, Alma Mahler, naissance d’une ogresse.

Je vis en ce moment une tout autre aventure, beaucoup plus austère et nettement moins chatoyante. J’ai voulu retenter l’expérience mahlérienne avec un nouveau compositeur, le singulier Chostakovitch. J’avoue ma totale ignorance à son sujet. Je l’ai longtemps cru soumis de bon gré au régime soviétique, là où Prokofiev et Stravinsky préféraient prendre la tangente. J’ai appris qu’il était devenu en fait un résistant de l’intérieur, notamment au travers de sa musique, pas si conventionnelle que ça, et surtout prompte à se teinter d’ironie et de sarcasme à l’instar de celle de mon cher Gustav.

Mais découvrir la vie de Dimitri est nettement moins fun que pénétrer dans celle de Liszt. Je lambine dans ma lecture. Dmitri-ChostakovitchDimitri a la vingtaine, il n’a pas vraiment le physique du génial hongrois ni son pouvoir de séduction, petit, malingre et binoclard, et même s’il connaît sa valeur, il ne déploie pas l’ambition d’un Mahler. De plus, ce brave homme grandit en pleine dictature soviétique et à moins d’être féru d’histoire russe, la plupart des personnalités rencontrées me sont pour la plupart totalement inconnues. Et surtout, toute l’ambiance du récit est froide et austère, même si très bien documentée, et ne donne guère envie de retrouver les « personnages ».

Je sacrifie donc à ce qui m’arrive très rarement, n’appréciant guère de mener plusieurs lectures de front. Je quitte Dimitri pour aller naviguer dans d’autres eaux. Je pense que plusieurs semaines me seront nécessaires pour achever l’ouvrage, sauf bien sûr si une bonne surprise m’attend au détour d’un chapitre et rend le récit plus attrayant !

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Couv ogresse


Agnesb62

Autrice, romancière, romans historiques, romans policiers, nouvelles, essais sur les compositrices

0 commentaire

Elisa · 12 juillet 2016 à 9h45

Très intéressant chère Agnès. Je fais beaucoup de recherches pour mes récits car le fond historique est très important pour moi et j’adore ça. Mais je n’ai jamais réalisé cet exercice de me consacrer à un personnage central. Merci pour le partage 🙂

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